Apprendre l’empathie à ton enfant
Développer l'empathie de ton enfant fait partie de tes valeurs. Mais l’empathie s’apprend-elle? Peut-on combler un manque d'empathie? Et apprendre l'empathie à un enfant ne risque-t-il pas d’accentuer sa vulnérabilité et de se laisser «marcher dessus» par les autres?
Au contraire, développer l'empathie de ton enfant, c'est lui permettre de comprendre et ressentir les émotions d’autrui et de construire des relations sociales harmonieuses. C’est lui donner des clés pour bâtir un monde meilleur.
C’est à nous, adultes, de guider les enfants dans le monde des émotions, tout en les outillant pour qu’ils définissent leurs propres limites. L’empathie est une force qui encourage la compassion, l’entraide, l’apaisement.
L'empathie, c’est cette faculté de se mettre à la place d'autrui, de ressentir et de comprendre les émotions et les pensées d'une autre personne.
C’est un des piliers des relations humaines saines et constructives.
Trois formes d’empathie à combiner
Christophe Deval, psychologue clinicien, distingue trois formes d’empathie : la cognitive, l’émotionnelle et la bienveillance.
L’empathie cognitive est celle qui permet de comprendre les émotions des autres sans les ressentir soi-même, sans être affecté. Elle permet de se préserver de la sphère émotionnelle, mais elle limite, par conséquent, la richesse de la connexion humaine permise par l’empathie émotionnelle et la bienveillance.
L’empathie émotionnelle est bien souvent redoutée, car on l’associe à un phénomène de contagion. Typiquement, c’est le jeune enfant qui se met à pleurer parce qu’il entend d’autres camarades le faire. La tristesse des autres le rend à son tour malheureux, sans qu’il sache pourquoi. L’émotion « contamine ». Mais dans le sens positif également! Ne dit-on pas que le rire est communicatif?
Pour autant, ces trois dimensions de l’empathie doivent être combinées, car chacune nourrit notre relation à l’autre :
L’empathie cognitive nous permet de saisir la perspective d’autrui, ses sentiments, pensées et réactions. Mais cette compréhension en reste au stade de l’observation détachée si elle n’est pas complétée par l’empathie émotionnelle et la bienveillance.
L’empathie émotionnelle évite de rester en surface: en faire preuve, c’est ressentir véritablement ce que les autres éprouvent, même si dans des circonstances similaires, au vu de notre histoire personnelle, notre réaction aurait pu être autre.
La bienveillance est la partie proactive de l’empathie. C’est grâce à elle qu’on va être en mesure d’apporter notre aide, éclairée par les besoins véritables d’autrui. C’est aussi grâce à elle qu’on peut maintenir un engagement émotionnel sans se sentir dépassé.
C’est la mobilisation de ces trois éléments de l'empathie qui nous engage vers une connexion plus authentique et profonde avec les autres et enrichit notre humanité.
Les bienfaits de l’empathie
L’empathie est donc une qualité essentielle pour le développement des relations sociales, familiales, amicales, professionnelles saines et de qualité.
Le travail qu’elle nécessite sur soi-même pour comprendre ses propres émotions avant de pouvoir saisir celles des autres développe la conscience de soi. Elle contribue à éviter des comportements à risque. Cette dimension de l’empathie joue un rôle important dans le bien-être mental et physique.
C’est aussi une compétence qui contribue à un monde plus juste. Elle aide à combattre efficacement le harcèlement, les préjugés, le racisme. Elle pose les fondements d’une société équitable, attentionnée et paisible. Elle facilite l’entraide, souligne l’importance de l’écoute, aide à pardonner.
L’importance des compétences psychosociales est aujourd’hui mondialement reconnue. L’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime propose d’ailleurs des affiches et vidéos à destination des plus jeunes autour des super talents, comme l’empathie, mais aussi la compassion, la confiance en soi, la curiosité, la gratitude, l’honnêteté, l’espoir, l’intégrité, la motivation, le respect.
Un préalable pour développer l’empathie
L’empathie est la capacité à se mettre à la place de l’autre, de percevoir ce qu’il ressent et d’éprouver soi-même un élan humain envers l’autre. Mais il ne s’agit pas d’être envahi par les émotions de l’autre pour devenir soi-même submergé par l’autre.
Et pour cela, avant de pouvoir développer de l’empathie, il faut avoir pu soi-même accueillir ses propres émotions et ne pas les confondre avec celles de l’autre. Si on est coupé de soi-même, il est difficile de nourrir de l'empathie pour l’autre. Et plus on est ancré en soi, mieux on peut être empathique.
Ce travail sur soi est aussi nécessaire pour ne pas confondre pitié et empathie. Face aux difficultés, notamment émotionnelles que traverse l’autre, éprouver de la pitié, c'est traverser des ressentis désagréables pour l’autre (« elle me fait pitié »). Alors qu’éprouver de l’empathie, c’est développer un élan positif et aidant pour l’autre.
Quels sont les liens entre empathie, compassion, altruisme?
En matière de construction des compétences psychosociales, tout est intrinsèquement lié, autant celles qui nous permettent de se connecter à nous-même que celles qui favorisent nos relations avec les autres. Dans l’article sur l’apprentissage de la gratitude aux enfants, j’explique en quoi cette pratique permet de développer l’empathie.
Cette dernière est elle-même au fondement de la compassion et de l’altruisme, car elle nous permet de percevoir et ressentir les besoins et les souffrances des autres.
La compassion va au-delà de l’empathie puisqu’elle inclut un désir actif de soulager les souffrances que nous venons d’évoquer.
Quant à l’altruisme, il désigne des comportements et des actions qui visent aussi à aider les autres, sans attendre aucun bénéfice personnel en retour. L’altruisme est motivé par le désir de promouvoir le bien-être d'autrui, parfois au détriment de ses propres intérêts. Il est considéré comme l'expression pratique de la compassion et il est alimenté par l'empathie.
Ces liens entre empathie, compassion et altruisme sont ceux nécessaires à la promotion de sociétés plus solidaires et bienveillantes. Ces trois concepts contribuent à résoudre les conflits, renforcer les liens et construire une culture de l'entraide et de la compréhension mutuelle.
L’empathie est-elle innée?
L’empathie s’inscrit dans ce que l’on nomme les compétences psychosociales. En tant que compétence, elle s’apprend. Pour autant, si elle se construit grâce à l’environnement familial, aux expériences sociales, à l’éducation et à l’encadrement dont bénéficie l’enfant, elle est en partie influencée par la génétique (dans une proportion qui reste faible). L’enfant naît avec un potentiel d’humanité et de bonté qui ne demande qu’à être développé.
C’est une étude de 2018, menée par des chercheurs de l'Université de Cambridge, de l'Institut Pasteur, de l'université Paris Diderot, du CNRS et de la société 23andMe qui révèle que l'empathie est en partie déterminée par la génétique, en plus de l'éducation et de l'expérience.
Les résultats indiquent qu'au moins 10% de la variation de l'empathie entre les individus peut être attribuée à des facteurs génétiques. L'étude confirme également que les femmes sont, en moyenne, plus empathiques que les hommes, bien que cette différence ne soit pas liée à des variations génétiques. Ce sont d’autres facteurs comme la socialisation ou les hormones qui ont un impact sur l’empathie liée au genre.
De plus, une corrélation a été établie entre les variants génétiques associés à une faible empathie et un risque accru d'autisme. Si ces découvertes ouvrent de nouvelles perspectives sur le rôle de la génétique dans l'empathie, elles soulignent aussi l'importance des facteurs non génétiques.
Est-ce risqué de développer l’empathie de ton enfant?
Une célèbre expression utilisée dans le langage familier laisse entendre qu’à être trop gentil, on finit par être vu comme quelqu’un de naïf. On peut donc naturellement se demander si l’apprentissage de l’empathie à ton enfant risque de le mettre en danger face à des profiteurs, des personnes ingrates et sans scrupules.
Cette préoccupation peut venir de la crainte :
- que l'enfant ne sache pas établir des limites saines;
- qu’il mette constamment les besoins des autres avant les siens;
- qu’il se trouve dans des situations au cours desquelles sa gentillesse est prise pour de la faiblesse.
Cette inquiétude permet de comprendre que l’empathie s’enseigne non pas seule, mais accompagnée de résilience et de la capacité à établir des frontières personnelles. Le développement de la confiance en soi, de l’estime de soi et de l’affirmation de soi sont également indispensables. Ainsi que l’aptitude à reconnaitre ses émotions, à les traverser, à les «gérer». L’idée est de réussir à équilibrer empathie et assertivité, afin que les enfants comprennent et se soucient des émotions des autres tout en sachant protéger leurs propres intérêts et bien-être.
L’enfant apprend à exprimer ses pensées, ses ressentis, ses besoins de manière directe, honnête et respectueuse. Une personne assertive sait dire non quand c’est nécessaire, poser des limites saines, demander ce qu’elle veut ou ce dont elle a besoin de façon claire.
L’éducation à l’empathie implique donc d’autres enseignements comme refuser poliment, savoir dire non, défendre ses propres droits de manière constructive, grâce au travail d’argumentation, poser ses limites et les faire respecter, être connecté à ses ressources internes et tout ce qui relève du «développement personnel»: confiance en soi, estime de soi, amour de soi….
Comment apprendre l’empathie à ton enfant?
Comme toujours en matière d'éducation, les "astuces" ne marchent pas durablement. Dès que l'on souhaite booster une facette ou transmettre une valeur, des activités one-shot ne suffisent pas. Voici quelques conseils:
Créer un environnement serein… et empathique
Au-delà du fait que, toute proporsion gardée, on naît avec un capital génétique d’empathie, on dispose surtout dès le départ de la capacité à produire de l’ocytocine, une hormone qui diminue le stress, favorise le sentiment de sécurité et le lien à l’autre. C’est un peu la molécule de l’empathie. Un environnement anxiogène empêchera la sécrétion de cette hormone. Le cortisol prendra le dessus.
On comprend donc que pour développer son empathie, l’enfant a besoin d’un terrain favorable. Il a lui-même besoin de recevoir de l’empathie pour apprendre à déployer la sienne. Il peut aussi être auto-empathique envers lui-même, même si c’est moins efficace. C’est toutefois cette seconde solution qui permet aux enfants qui ne bénéficient pas d’un cadre favorable à l’empathie, de ne pas en être tous complètement dépourvus à l’âge adulte. Par ailleurs, il n’y a pas d’âge pour apprendre cette compétence.
Travailler sur tes émotions
Pour cultiver son empathie, un travail personnel sur tes propres émotions est nécessaire. Et on ne transmet bien que ce que l’on a soi-même éprouvé.
- ressentir tes propres émotions: être en connexion avec toi-même, savoir poser les mots justes sur ses ressentis, réussir à les exprimer sans culpabilité;
- savoir expliquer pourquoi on éprouve de telles émotions;
- prendre soin de soi si l’on souffre: faire face à ses émotions pour qu’elles ne nous envahissent pas quand elles sont désagréables, et pour qu’elles ne soient pas délétères pour les autres.
Une fois ce travail mené sur soi-même, alors on sera en mesure:
- de ressentir les émotions d’autrui;
- de comprendre pourquoi de telles émotions le traversent;
- d’être bienveillant envers lui pendant cette tempête émotionnelle.
Et ce, même si face à une même situation, notre réaction aurait pu être différente.
Cultiver l’empathie au quotidien
Voici quelques situations qui, jour après jour, permettent de travailler l’empathie et toutes les capacités connexes:
- S’ouvrir aux autres, en discutant, pas seulement de la pluie et du beau temps, mais des expériences de chacun, des émotions ressenties dans ces moments-là, de la façon dont l'autre vit les choses, traverse les situations. La curiosité n’est pas un vilain défaut quand elle permet de découvrir d’autres modes de vie, d’autres points de vue sur le monde… A la fin d'un voyage ou d'une journée, j'aimais prendre le temps d'échanger avec mes enfants pour leur demander ce qu’ils avaient vu, vécu et surtout, ce qu'ils avaient éprouvés à travers toutes leurs nouvelles expériences. Ce qui m'intéressait n'était pas tant le factuel mais l'émotionnel: qu'avaient-ils ressenti d'agréable ou de désagréable?
- Expérimenter de nouvelles situations, comme lorsqu’on choisit de voyager à l’étranger et d’aller à la rencontre des habitants, de goûter à leurs plats, de s’intéresser à leur culture. Il peut également s’agir de participer à des actions organisées par des associations.
- Plonger dans la fiction écrite et filmée, pour s’identifier à des personnages, ressentir leurs émotions, comprendre leurs pensées. Que celle ou celui qui n’a pas pleuré en regardant un film, un dessin animé ou un livre lève la main !
- Montrer l’exemple, parce que je ne le répèterai jamais assez, les enfants apprennent en grande partie par imitation. Si tu sais reconnaître tes émotions, les accueillir, avancer avec, tu seras plus à même d’aider ton enfant à exprimer et expliquer les siennes.
Il existe bien d’autres situations qui viendront construire l’empathie de ton enfant. J’ai ainsi lu que la Fédération Française de Rugby avait édité une série de jeux collectifs à mettre en œuvre avec les jeunes adolescents pour travailler plus spécifiquement l’empathie, la tolérance et l’acceptation des différences. C’est en effet un âge marqué par d’importants changements et un risque accru d’anxiété, de dépression, de harcèlement scolaire. L’objectif en promouvant ces valeurs est de soutenir le bien-être mental de ces adolescents et de réduire les violences.
Développer l’empathie de tes enfants s’inscrit dans la relation de qualité que tu tisseras avec eux. Obtenir un lien fort, serein, apaisé, et changer profondément ton quotidien nécessite une nouvelle façon d’être, d’agir et interagir, de réagir aussi.